
C’est tellement rare d’avoir un album enfant sur un sujet aussi délicat que l’autisme.
Pardonnez-moi à l’avance si je fais des bourdes et ne me sautez pas à la gorge pour cela ( je le dis, parce qu’il m’est arrivé ici de parler de l’hyperactivité et on aurait dit le déclenchement d’une guerre mondiale, tout ça parce que je n’avais parlé QUE des enfants hyperactifs avec trouble des interactions sociales !). Bref, non, je ne suis pas spécialiste, mais j’ai une bonne expérience, de 20 ans d’enseignement, et de 25 ans de fréquentation de personnes autistes. Mais aucun n’est pareil, et je ne pourrai pas tout envisager. C’est d’ailleurs le piège : il vaut pour toi aussi, même si tu vis avec un enfant autiste. Non, ton enfant autiste n’est pas la norme de l’autisme et tu peux toi aussi… avoir tort sur l’autisme. Voilà, c’est dit.
C’est un sujet important, car les enfants atteints d’autisme ont le droit à notre compréhension. Ce n’est ni une question de bienveillance ou encore moins de tolérance. Juste le besoin pour nous de savoir nous adapter, bien réagir. C’est aussi la nécessité pour eux d’être compris.
Hygée publie de super livres de sensibilisation à l’atypisme, et je trouve qu’ils sont toujours très complets et très sensibles. Dans le dico de la santé les questions abordées l’étaient avec justesse.
Résumé de l’histoire
Arno a énormément de chance : dans son école, les enfants sont gentils, une petite fille lui laisse la place pour qu’il s’installe à côté de son nouvel ami. Un ami en CE1, alors qu’Arno est en CM2 mais se passionne pour les toupies. L’atsem doit comprendre que les règles de l’école ( on reste chacun à sa table) ne s’appliquent pas pour Arno, qui s’est enfin fait un copain ! Et ce copain, il est génial : il invite Arno et seulement Arno à son anniversaire. Bref, le seul défaut de cet album, c’est de croire qu’on vit chez les Bisounours. Car non, les enfants ne sont pas tous aussi adorables que ceux de l’album. Souvent, cela se passe avec beaucoup plus de cruauté… Je pense que les auteurs ont voulu insister sur tout ce qui est positif et n surtout pas entrer dans les situations douloureuses…
Pour contre-balancer, le récit aborde la question du grand frère qui se sent délaissé, ne comprend pas son frère, se sent trahi quand celui-ci, sans filtre, révèle aux parents les petits secrets. Le » coin du psy » permet de décrypter les réaction d »Arno, son étrange comportement. J’ai beaucoup aimé la couverture qui montre combien Arno est tout à son activité. Il n’est pas seulement concentré sur la toupie, il EST la toupie, à l’intérieur de la toupie. C’est exactement ça, l’autisme. On pense souvent que l’autiste est enfermé en soi-même, mais en vérité, il s’enferme dans l’objet qui l’accapare entièrement. La relation est fusionnelle, et les autres ne « comptent » pas. C’est rare, comme dans l’album, qu’un autiste souhaite » jouer avec un copain ».
Bien sûr, cet album ne « suffit » pas, parce qu’il y a mille et un autismes. J’ai travaillé avec 5 ou 6 enfants autistes ces dernières années et aucun ne se ressemble. Tu comprends qu’il y a des « constantes » qui sont quasiment toutes évoquées dans le livre ( sauf les problèmes… physiologiques):
- une perception de la réalité dans le rejet ou la fusion ( ça, je l’ai compris toute seule), au point de se « croire » l’objet lui-même.
- de passions et centres d’attention exclusifs,
- des interactions sociales non pas absentes mais très différentes. Cela va de pas d’interaction du tout parce qu’il ne capte pas à des réactions d’extravertis parce qu’il ne capte pas les autres et agit comme s’il était seul au monde. Oui, l’autiste extraverti existe, sur 5 enfants, j’en ai connu 2 comme ça. Une incapacité à regarder dans les yeux ou au contraire la volonté de TOUJOURS regarder dans les yeux. En fait le TOUJOURS est la constante.
- un manque évident d’empathie,
- une empathie très forte pour les animaux ,
- des addictions, au sucre surtout,
- des monodiètes : il ne mange que des pizzas, que des légumes rouges etc. ( ça a sans doute un autre nom… moi j’appelle ça la monodiète),
- des troubles physiques, surtout digestifs. La constipation est leur lot commun, ( tu peux lire Le petit prince cannibale à ce sujet) et ça peut vote devenir un enfer.
- souvent des allergies, des problèmes de peau ( on ne parle que rarement des traits physiologiques mais ils existent),
- un problème au corps : ne veut pas être touché, ne supporte pas la peau nue, au contraire ne supporte pas la peau recouverte, une paresthésie, une sensation douloureuse au toucher, avec l’au de la douche etc. Souvent donc, des soucis d’hygiène consécutifs à hyperesthésie cutanée,
- et donc une hyperesthésie constante, doublée souvent d’une hypersensibilité souvent un haut potentiel avec asperger ,
- souvent des grosses difficultés d’attention, de concentration pour l’autres formes d’autismes,
- au contraire une concentration qui fait abstraction du temps, des autres.
- des difficultés à décoder les émotions des autres, à comprendre les siennes, et à les ex-primer
L’autisme est difficilement « repérable » chez les filles, surtout asperger. Il peut se doubler d’un HPI ou au contraire d’un QI plus faible. Franchement, on en peut pas tout envisager dans un album pour enfant. Tu peux lire le témoignage de Sandrine Gaouenn sur le sujet.
La seule chose à faire, c’est justement de ne rien faire : observer, attendre et tenter d’accéder aux besoin de la personne. Ne jamais croire qu’on » sait » et ne jamais anticiper.
L’autiste est toujours dans le temps du présent. Il ne peut donc en effet jamais s’ennuyer, comme le dit cet album. Mais il ne peut pas non plus faire bonne mesure pour les activités qu’on lui impose. Il s’en fout, il s’en va ! la norme ne l’intéresse pas, les codes encore moins. Il n’est pas dans cette réalité sociale. En revanche, il détermine ses propres règles et gare à toi si tu en les respectes pas…
On parle souvent de handicap, je préfère atypisme. Cela peut paraître prétentieux de dire ça, mais j’ai toujours eu des liens particuliers avec les enfants autistes ( sauf un, que je ne supporte pas trop, mauis c’est une question de personnalité, et on oublie souvent que l’enfant ou l’adulte autiste A UNE PERSONNALITÉ, donc arrêtons avec les cases !) On se comprend. Enfin, je les comprends. Ce sont des relations très enrichissantes, qui nous apprennent énormément. Et leur amitié, c’est pour la vie ! J’aime insister là-dessus parce qu’on croit toujours que ce ne sont que des problèmes qu’on va rencontrer. Mais non. Après, moi, évidemment, je ne suis qu’avec des Asperger, l’autisme » lourd » , je ne connais pas trop, seulement par le biais d’enfants dans la sphère privée.

Quant aux conventions, les codes sociaux, les règles de vie : la personne atteinte d’autisme s’en fout également. Oui, il y a une forme d’égotisme dans l’autisme. Il n’a aucun filtre, il ne comprend jamais le second degré : il est là, hic et nunc, et prend tout pour argent comptant ( mince, par exemple, cette expression, ça fera dire à une personne autiste « Ah bon, et elles sont où les pièces ? »).
On ne sort jamais de l’autisme, mais on peut apprendre. Fort heureusement, j’ai pu rire avec des enfants et ados autistes : oui, ils peuvent avoir de l’humour et apprendre le second degré. cela vient en grandissant et par la répétition et le mimétisme. Dans l’album, Arno demande à son copain pourquoi il sourit. Un autiste a toujours du mal à décrypter les émotions. Les signes physiologiques ne sont pas équivalents de manière évidentes à une émotion.
J’ai trouvé que le petit album réussissait quand même un sacré tour de force, en faisant le tour de toue ce qui est différents pour un enfant autiste. Il prépare bien à l’accueil par d’autres enfants. Il est forcément un peu naïf, un peu idéaliste, mais il est destiné aux enfants. Il vaut mieux aborder les choses positivement, non ? J’ai bien aimé cette phrase : » J’ai de la chance d’avoir un ami comme lui ». je le pense c’est vrai : j’ai de la chance d’avoir des élèves comme Arno. J’adore aussi les dessins, simples, nets, accessibles aux atypiques. La police choisie est aussi adaptée aux DYS. Et dans les dessins, on voit la parole ou les intentions, ou l concentration matérialisées. C’est une super bonne idée !
Retrouve l’album ici ! Bravo à Benoît Broyart, Benjamin Strickler et Baptiste Fiche.